La plume et l’ange de plâtre.
C’est le bon moment ou plutôt finalement cela sera un moindre mal car il ne pleut pas.
La journée tire vers sa fin, les odeurs sont douces et le printemps s’annonce.
Je ne porte pas de pull-over lourd ni mon blouson de cuir pesant sur les épaules : je n’aurai aucune contrainte dans les mouvements.
Le soleil décline et j’avance sur cette herbe vivace.
Je m’aperçois que mes chaussures n'ont pas leurs lacets.
Combien de fois ai-je passé et repassé cet instant dans ma tête, pourtant mon pas est mal assuré et la cadence de marche reste confuse.
Je porte cette boite en carton ornée de poignées en plastique dont la couleur dorée reste étrange.Le temps a depuis longtemps basculé sur un axe énigmatique qui n’est plus compréhensible pour moi.
Les instants ralentis se succèdent aux tourbillons du vertige.
Toujours ce flottement et ces pensées déstructurées, suspendues dans l’air comme les petits fils argentés des araignées du matin.
Puis avec violence les chocs qui brisent les fils éthérés un à un.
Tout s’enchaîne inexorablement.
La main empoigne le manche de l’outil et les premiers coups du métal contre la terre se font entendre.
La pelle s’enfonce droite et se taille son quart d’heure de satisfaction.
Chaque pierre heurtée imprime le bois dans la paume et a chaque fois la main réassure sa prise, les petits fils des pensées claquent comme des coups de feu s’évanouissant dans de noirs brouillards.
Le corps se tend et ne veut plus effectuer les mouvements, le cerveau réaffirme ses ordres, les déchirures recommencent.
Chaque pelletée de glaise extraite revient à ouvrir la porte du Tartare.
C’est en posant ta boite au fond de cette fosse qu’à nouveau j’ai senti ton poids à l’intérieur avec encore un peu de ta chaleur.Cette aura indéfinissable qui sourd au travers du carton, cette émanation rassurante qui me rappelle sans cesse ton importance vitale.
L’esprit se perd face à la terreur de te savoir plongée dans les ténèbres, mes mains empoignent l’argile pour faire ton tombeau.
Que faire d’autre à part te parler dans ma tête ? Les yeux ne voient plus rien, les larmes sont des reines opaques et à cette heure, elles dansent autour de moi, souveraines en crachant de la cendre par leurs bouches ouvertes.
Je me sens perdu.
Les mains tassent le sol, les doigts effritent les blocs de terre agrégée, les ongles séparent comme des socs les éléments pour combler les espaces qui sertissent ton petit cercueil.
Ton bastion en carton, le dernier rempart face à l’obscurité.
La lumière devient crépusculaire et la terre froide.
Il reste le haut de ta forteresse de tristesse qui émerge invaincu de la roche brisée et ce sont nos derniers instants ensemble. Je ne le sais que trop.
Je repasse nos moments de vie, la vitesse de défilement est une torture absolue.
Voici quelques instants je te plaçais dans ta couverture bleue, j’ai pris soin de te mettre dans ta position préférée et sur ton front je t’ai embrassée.
Tu as ta plume avec le petit ange de plâtre et la boite t’entoure, il faut fermer le couvercle.Encore quelques secondes volées aux hantises crépusculaires. Les yeux ouverts n’enregistrent que confusion.
La terre recouvre le dessus, d’ailleurs il n’y a plus que de la terre.
Je te parle toujours, je te demande de marcher vers la lumière, de ne pas t’arrêter et de toujours marcher.
Je te demande de me pardonner, de m’absoudre de mon incapacité à t’aider dans ce moment.
Je suis en train de sceller ta tombe, toi qui avais tant confiance en moi.
Ce n’est plus la honte immonde de la trahison qui me submerge mais un dégoût profond et intense face à ton innocence et ta souffrance.
C’est ainsi que l’on se retrouve enfoncé à genoux, les poings dans la glaise, statue grotesque de désespoir.
Rien, rien ne meurt jamais, sauf ta souffrance muette lorsque tu me regardais.
Ta discrétion face à ma trahison.
C’est ainsi que je pars expier loin de tout ce que nous aimions, je ressens dans ma douleur l’humidité qui monte du sol.
Là où je vais, partira l’autre ange de plâtre, le moins joli que j’ai gardé pour moi.
Les oiseaux sont couchés tu sais, je ne les entends plus.
La grosse voiture qui vient me chercher à dû les effrayer peut-être.